Yazid Kherfi, l’ancien braqueur qui veut réinventer la prison
Cet ex-détenu repenti, devenu aujourd’hui médiateur et formateur, veut faire de l’incarcération l’ultime recours. Il rêve d’une réinsertion sociale efficace et humaniste.
Dans les années 1980, il échoue en prison pour cinq ans. Aujourd’hui, il rêve d’y ouvrir une université. Les contours du projet sont déjà nets dans l’esprit de Yazid Kherfi, cet ancien braqueur devenu expert en prévention. Le médiateur, qui arpente les quartiers sensibles au volant de son camping-car, a vu son activité suspendue par la crise sanitaire, mais il ne se décourage pas et continue à réfléchir à des moyens de lutter contre la récidive.
Le but de cette école hors norme qu’il imagine : former les détenus à la prévention de la délinquance, réviser leur peine et les faire travailler dans les municipalités qui en ont besoin. « Il y a énormément d’intelligence en prison, on ne s’en sert pas », reproche-t-il. L’expert raconte que dans les couloirs du ministère de la Justice, on le ramène vite à sa naïveté, mais il ne baisse pas les bras et attend celui ou celle qui lui donnera un feu vert. « Moi j’y crois ! On a toujours avancé avec de l’utopie… Je suis la preuve même que ce projet peut marcher. Et je ne suis pas exceptionnel, il y en a plein des gens comme moi, mais on ne leur a pas tendu la main au bon moment. »
Cette humilité d’homme ordinaire, Yazid la cultive précieusement. Il retire sa casquette gavroche vissée sur le crâne et parle franchement, sans détours, avec un sourire discret. Difficile en le voyant d’imaginer le grand écart de sa vie – des braquages et des vols à main armée dans sa jeunesse, des années de cavale, après une scolarité tumultueuse passée au cœur du Val-Fourré à Mantes-la-Jolie (78), puis à sa sortie de prison un emploi d’animateur et un Master en Ingénierie de la sécurité obtenu en 2002 à l’Institut national des hautes études de sécurité et de la justice, mention très bien.
Il est aujourd’hui passé de l’autre côté du pupitre et forme à la faculté de Nanterre de futurs cadres d’intervention en terrain sensible. Par ailleurs, consultant indépendant en prévention urbaine, il propose ses services aux mairies et officie également au conseil économique et social régional d’Île-de-France depuis deux ans.
L’ex-braqueur qui forme des policiers et des juges
Ce CV à rallonge lui ouvre depuis quelques années les portes des écoles de police et de magistrature. Devant un parterre attentif, Yazid donne ses préconisations sur la détention, son propre parcours faisant foi. « J’ai toujours récidivé parce que la prison a son côté criminogène, car tu n’y rencontres que des délinquants. » Il mise davantage sur les travaux d’intérêt général, la formation, les missions de service civique qui mettent les détenus au contact du monde extérieur et les libèrent d’un entre-soi dangereux.
En 2013, le médiateur a d’ailleurs participé à la conférence de consensus autour de la récidive, sollicitée par la garde des Sceaux d’alors, Christiane Taubira. S’il se réjouit de la loi née de ces rapports, qui favorise les courtes peines, il déplore une application encore trop frileuse par les juges. « La prison reste la facilité et la sanction de référence, alors qu’elle doit être la dernière des décisions. Malheureusement, il y a des raisons politiques derrière ces choix : les élections se gagnent sur la sécurité. » Selon une étude de l’observatoire international des prisons, publiée le 5 février dernier, 63 % des détenus en France sont à nouveau condamnés après une première incarcération.
« Avant les flics me mettaient les menottes, maintenant ils se mettent au garde-à-vous quand je rentre dans la salle ! [….] C’est le monde à l’envers. »
Yazid Kherfi
Mais l’éternel optimiste ne se débine pas, et constate la bonne volonté des futurs magistrats et policiers qu’il forme. Ce Franco-Algérien s’amuse encore de cette position de maître d’école et de ses lauriers politiques, avec un rire incrédule : « Avant les flics me mettaient les menottes, maintenant ils se mettent au garde-à-vous quand je rentre dans la salle !
À ma sortie de prison, on voulait m’expulser “au nom du peuple français”, et en son nom toujours, des années après, j’ai reçu une médaille de la part de Madame Taubira pour mon travail. C’est le monde à l’envers. » Et de déclarer un de ses adages dont il est friand : « comme quoi, avec de la volonté et des efforts, on arrive toujours à retrouver une place au soleil. »
Retour en prison pour aider les détenus à en sortir
C’est ce type de mantras qu’il dissémine lors de rencontres auprès de détenus, qui sont finalement au cœur de sa « mission ». Yazid Kherfi sillonne depuis des années une trentaine de centres pénitentiaires français chaque année, pour raconter son propre chemin de rédemption et où on lui déroule « tapis rouge », assure-t-il. À l’instar de l’ancien maire de Mantes-la-Jolie, Paul Picard, qui a plaidé contre son expulsion à sa sortie de prison et a changé le cours de sa vie, Yazid veut créer un déclic dans l’esprit des prisonniers. « C’était la première fois que l’on me disait que je pouvais être quelqu’un de bien. Je dis toujours aux détenus qu’ils ont plus de qualités que de défauts! Ils voient mon parcours, ça leur donne de l’espoir. » Son cheval de bataille: préparer la sortie de prison, « arrêter les conneries » pour se tenir loin des tribunaux, trouver un emploi et un logement.
Mais Yazid n’a pas de solution magique. Certains détenus s’inquiètent: avec un casier judiciaire, comment convaincre un employeur? Comment survivre en attendant de toucher le RSA à la fin du mois? « À ce moment-là, moi je baisse la tête, il n’y a pas de réponse. » Des angoisses qui le suivent mais ne le découragent pas : « c’est la colère qui me fait avancer ». Et il y a parfois des surprises lumineuses, qui lui redoublent sa persévérance: des lettres de détenus, des rencontres avec ceux qui s’en sont sortis. Parmi eux, Yacine Yahiaoui, un ancien détenu présent lors d’une intervention à la prison de Réau (77), où il était alors enfermé. Il se souvient de ses premiers échanges avec le médiateur : « il amène les gens à se poser des questions, sa démarche est noble. » D’autres détenus libérés retournent à sa rencontre le soir, dans la rue, quand il pose son camping-car de la « médiation nomade ».
Un camping-car pour prévenir la délinquance dans les quartiers
Depuis 2012, Yazid a fondé son association, aujourd’hui financée par l’Etat, et a déjà fait plus de 360 escales dans des quartiers. Sur le bitume des quartiers Nord de Marseille ou dans les rues de Mayotte, il déploie ses chaises pliables et sort le thermos de thé pour discuter avec les jeunes qui traînent dehors et qu’aucune structure ne vient accueillir. Son objectif, encore une fois: faire de la prévention, raconter son histoire et « dévaloriser » le banditisme. Les questions curieuses sur son tableau d’honneur de braqueur, il les élude rapidement: « Les jeunes sont souvent fascinés par mon passé, alors je leur dis de regarder mon présent. Quand on choisit la délinquance, on finit entre quatre murs ou quatre planches. Y’a pas de mystère. » À l’attrait de l’argent, qui débouche sur « les larmes des parents », il défend son bonheur tranquille, dans une petite ville des Yvelines, sa famille, son jardin. « Même un billet de train, je le paie », s’amuse-t-il. Son accessibilité fait mouche. Yacine Yahiaoui, qui accompagne régulièrement son association aujourd’hui, loue « sa simplicité qui amène une grande profondeur », « sa présence et sa gouaille », son exemplarité.
« Quand on choisit la délinquance, on finit entre quatre murs ou quatre planches. Y’a pas de mystère. »
Yazid Kherfi
Une figure modèle qui ne s’enferre pas dans ses réussites. Appuyé sur sa solide expérience, Yazid veut toujours comprendre les jeunes, lit des livres sur eux, apprend avec eux. « C’est aux adultes de se mettre à leur niveau, pour les aider ensuite à s’élever. » Sa démarche est freinée par le couvre-feu et les confinements successifs, qui exacerbent l’isolement des plus fragiles : Yazid sait déjà que les dégâts psychologiques seront nombreux, lors de son retour sur le terrain. Mais les premiers rendez-vous sont déjà réservés et le médiateur se languit de reprendre la route.