Protéger les mineurs des crimes sexuels : suffit-il de modifier la loi ?
Dans le sillage du mouvement #metoo, la pédo-criminalité se retrouve au centre du débat public. Le gouvernement, des députés et des sénateurs proposent de créer un nouveau crime pour mieux protéger les mineurs. Mais magistrats et associations pointent du doigt le manque de moyens donnés à la justice.
« Nous allons agir très vite, désormais. » Au micro d’Europe 1, ce mardi 9 février, Adrien Taquet, le secrétaire d’État en charge de l’Enfance et de la Famille affiche sa détermination. Le gouvernement veut mettre rapidement en place une nouvelle législation luttant contre les crimes sexuels sur mineurs. Avec les affaires « Duhamel » ou encore « Julie », la lutte contre la pédo-criminalité se retrouve au centre de l’actualité et la parole se libère. Sur les réseaux sociaux, le hashtag #metooinceste participe à révéler l’ampleur du phénomène dans la société française.
D’après un sondage Ipsos réalisé pour l’association « Face à l’inceste » et publié le 19 novembre 2020, 1 Français sur 10 déclare avoir été victime d’inceste. Ces chiffres sont en nette augmentation et les chiffres de l’inceste en France ont triplé depuis 2009. À l’époque, le nombre de victimes déclarées en France s’élève à 6,7 millions aujourd’hui. L’augmentation s’expliquerait directement par la libération de la parole autour de l’inceste.
Créer un nouveau crime dans la loi pour protéger les mineurs
Le Garde des Sceaux, Éric Dupond-Moretti, est intervenu sur le plateau du journal télévisé de France 2, le mardi 9 février, pour exposer des mesures fortes afin de protéger les mineurs des crimes sexuels. Le Garde des Sceaux s’est montré clair : « Tout acte de pénétration d’un majeur sur un mineur de moins de 15 ans est un crime sans qu’il soit question de consentement. » Patrick Loiseleur, vice-président de l’association « Face à l’inceste se réjouit « que la société et le gouvernement semblent aujourd’hui prêts à ce changement. Après 2018, on se disait que c’était cuit pour ce quinquennat, après l’occasion ratée de la loi Schiappa ». Depuis les années 80, le viol est, en effet, défini de la même façon que la victime soit majeure ou mineure. Pour justifier la qualification de viol, il faut prouver le non-consentement de la victime par un de ces quatre éléments : faits de violence, menace, contrainte ou surprise.
Comme l’a affirmé Éric Dupond-Moretti : « La société nous conduit à changer le droit ». Aujourd’hui, il paraît de plus en plus inconcevable d’interroger le consentement d’un enfant victime de violences sexuelles. Plusieurs propositions de loi s’accordent aujourd’hui, en phase avec les annonces du gouvernement, à créer un âge barrière jusqu’auquel on n’interrogera pas le consentement de la victime. Dans sa proposition de loi votée le 21 janvier 2021 à l’unanimité au Sénat, Annick Billon propose de fixer cet âge à 13 ans. La sénatrice de Vendée veut pouvoir créer cette barrière, absente de la loi Schiappa de 2018 en raison d’un avis du Conseil d’État qualifiant la mesure d’inconstitutionnelle.
Son objectif est donc de créer une infraction autonome pour les mineurs de moins de 13 ans en créant un interdit dans la loi. Annick Billon explique : « Dans ce cadre-là, les enfants n’auraient jamais à justifier d’un comportement ou d’un consentement ». Pour les 13-15 ans, la proposition de loi « insère une disposition qui permettrait au juge de retenir un des critères de la contrainte ou de la surprise sans qu’il y ait à le prouver pour l’enfant. Ces critères pourraient découler du jeune âge de la victime » ajoute-t-elle. Certains élus et associations souhaitaient un âge barrière à 15 ans. Annick Billon justifie ainsi sa position :
« Aujourd’hui, dans le droit en vigueur, il y a l’atteinte sexuelle sur mineurs qui est fixée à 15 ans. En créant un crime à 15 ans, ça faisait que pour une même infraction, il y avait une double qualification. Ce n’est pas possible en droit. Donc à défaut de supprimer l’atteinte sexuelle, il était compliqué d’instaurer deux qualifications pour un même crime. De plus, le seuil des 13 ans permet de prendre en compte les relations consenties entre adolescents. La motivation était à la fois de contourner l’obstacle de l’avis du Conseil d’Etat et de prendre en compte les relations consenties entre adolescents comme elles existent. »
Respecter l’esprit de la réforme
Pour Patrick Loiseleur, « la proposition de loi Billon est un peu timide » et il faudrait aller plus loin pour protéger les enfants : « On réclame la création d’un crime spécifique depuis longtemps. On l’avait déjà demandé en 2018 avec la double création d’un seuil d’âge à 15 ans et à 18 ans dans le cadre de l’inceste afin de mettre fin à la recherche de consentement de l’enfant. » Le vice-président d’association s’inquiète de certains amendements de la proposition de loi d’Alexandra Louis, députée LaREM des Bouches-du-Rhône et qui sera présentée prochainement à l’Assemblée nationale :
« Deux choses nous inquiètent : l’ajout d’une condition si l’auteur connaissait ou ne pouvait ignorer l’âge de la victime. C’est une rédaction qui peut affaiblir le texte parce que ça ouvre la porte à une stratégie de défense du type « elle m’a dit qu’elle avait 16 ans et j’ai pas vérifié et j’ai même pas eu envie de vérifier ». Alors que si on dit « un mineur de moins de 15 ans », on crée l’obligation pour les majeurs de vérifier l’âge de son ou sa partenaire sexuel(le). C’est une rédaction plus stricte, plus lisible et plus conforme aux annonces triomphales qui ont été faites par Dupond-Moretti […] Deuxième source d’inquiétude : l’écart d’âge de 5 ans, c’est-à-dire que l’infraction n’est pas constituée si l’écart d’âge est inférieur à 5 ans. […] Ça veut dire que 13 ans et demi d’un côté et 18 ans de l’autre, et bien ça passe. Et même dans ce cas-là, on a une régression législative puisque l’atteinte sexuelle sur mineurs, c’est n’importe quel majeur sur un mineur de 15 ans. »
Lucille Rouet, magistrate et secrétaire générale du syndicat de la Magistrature l’accorde : « La question de connaissance de l’âge de la victime risque de créer un débat sur ce qu’a laissé paraître la victime, ce qui va à l’encontre de l’esprit de la réforme ». Patrick Loiseleur, lui, insiste : « Ce à quoi on est attentif, c’est que le principe qui est claironné à la télé ne soit pas démonté par les clauses en petits caractères dans l’écriture de la loi, qui viendrait l’affaiblir ou la vider de sa substance. »
Donner les moyens à la Justice
Pour Lucille Rouet comme Patrick Loiseleur, mieux protéger les mineurs ne signifie pas seulement réformer la loi, il faut aussi donner les moyens à la Justice d’agir. Comme l’explique la magistrate, « les délais de traitement des dossiers sont extrêmement longs, ça peut aller jusqu’à plusieurs années. Mais il n’y a pas d’urgence du politique à régler ce problème. » Patrick Loiseleur partage ce constat : « Ce n’est pas le tout de définir un crime, mais les cours d’assises, elles, plafonnent à 2 400 affaires jugées par an. […] L’an dernier, on a dû juger un millier de viols, dont la moitié sur des mineurs. […] On n’a pas les moyens de juger toutes les affaires qui affluent, même avec le petit nombre de victimes qui portent plainte, c’est-à-dire 10 %. C’est comme ça que l’on arrive au 1 % de condamnations. »
De plus, du fait de l’engorgement des cours d’assises, beaucoup de viols sont « correctionnalisés » et vont être ainsi jugés au Tribunal correctionnel. Cette manœuvre est possible depuis la loi Perben de 2004. Si la partie civile est d’accord, les faits de viol sont alors qualifiés en agression sexuelle. Passer devant le Tribunal correctionnel permet à la victime d’obtenir un jugement plus rapidement grâce à l’absence de jurés et des audiences plus courtes, souvent avec de meilleures chances de condamnation pour l’agresseur.
Mais Lucille Rouet rappelle qu’« on passe d’un crime à un délit, les peines encourues pour l’accusé ne sont donc pas les mêmes. On passe de 20 ans de réclusion à 5, 7 ou 10 ans selon les circonstances aggravantes. » Le grand enjeu est ainsi de mettre fin à l’impunité qui protège actuellement 99 % des agresseurs.
Pour Patrick Loiseleur : « Que ce soit la loi pénale, les soins médicaux, ce ne sont que des briques dans une stratégie d’ensemble de prévention d’un problème de santé publique » afin d’éviter à la génération actuelle des moins de 18 ans de subir la même loi du silence que la précédente.