Parfois méconnue du grand public, la comparution immédiate, aussi appelée CI dans le jargon, est pourtant un outil important du système judiciaire français. Censée apporter une réponse pénale rapide aux délits mineurs, elle est cependant souvent décriée par les avocats qui voient en elle l’expression d’une justice « expéditive ».
Elles sont l’instrument de la justice au quotidien. Dans les tribunaux français, ce sont des dizaines de prévenus qui sont jugés tous les jours en comparution immédiate. Des milliers d’affaires sont traitées par ce biais chaque année. En 2016, selon l’Observatoire International des Prisons (OIP), 49 220 dossiers ont ainsi été jugés : affaires de vol, de trafic, d’agression ou encore infractions routières, autant de délits pour lesquels cette procédure peut être engagée.
Une justice rapide ou expéditive ?
Elle consiste à traduire rapidement devant un tribunal les personnes placées en garde-à-vue pour de telles infractions. À condition, toutefois, que les faits qui lui sont reprochés soient clairs et simples, et ne nécessitent pas d’enquête policière approfondie. « Ça concerne les faits pour lesquels il y a peu de doutes, par exemple les flagrants délits », explique Virginie Duval, présidente d’honneur de l’Union syndicale des magistrats au micro de France Inter.
Le procès intervient alors quelques jours, voire quelques heures seulement après le délit. 70 % des affaires orientées en comparution immédiate sont jugées dans les 4 jours suivant la fin de la garde-à-vue du prévenu. 29 % le sont le jour-même. « C’est une justice qui va plus vite », explique Virginie Duval. Cette rapidité en fait une exception au sein d’un système judiciaire français très critiqué pour sa lenteur. En effet, il fallait en moyenne 8 mois en 2018 pour qu’une affaire aboutisse à un jugement au tribunal correctionnel. Un délai qui pouvait monter jusqu’à trois ans et demi pour une affaire faisant l’objet d’une instruction.
Pourtant, cette rapidité est régulièrement critiquée par la communauté des avocats. Ils dénoncent une justice expéditive qui laisse peu de place à la défense et à l’étude approfondie des dossiers. La procédure se déroule dans des délais très courts qui laissent peu de temps aux avocats pour préparer leur plaidoirie. L’entretien avec le prévenu ne dure souvent que quelques minutes avant le procès. « Défendre quelqu’un en comparution immédiate, ça veut dire voir quelqu’un arriver entre deux gendarmes, dans un box, au sortir de 24 ou 48 heures de garde-à-vue », témoigne l’avocate pénaliste Karine Bourdier, sur France Inter, « ça veut dire une absence d’accès au dossier pendant ces 24 ou 48 heures ». Le prévenu a cependant la possibilité de renvoyer son jugement à une date ultérieure afin de pouvoir préparer sa défense plus longuement avec son avocat. Au risque, toutefois, d’être placé en détention provisoire, dans l’attente de son procès, qui doit intervenir 2 à 6 semaines plus tard.
Le tribunal, composé d’un juge et de deux assesseurs, prend lui-même connaissance de l’affaire peu de temps avant le début de l’audience. Dans les grands tribunaux, plusieurs dossiers sont traités lors de chaque audience, et ils peuvent s’enchaîner jusque dans la nuit. Certains s’ajoutent même en cours de journée. Le temps consacré à chaque affaire est très court. Selon une étude menée au tribunal de Marseille en 2016, 29 minutes sont en moyenne consacrées à l’audience d’un dossier, dont 6 minutes de plaidoiries de l’avocat. « Des personnes peuvent être condamnées jusqu’à 20 ans de prison par des jugements bâclés en 20 minutes à la nuit tombée », dénoncent les avocats Laure Heinich et Dominique Tricaud dans une tribune publiée dans Le Monde en 2018.
Une procédure qui favorise la prison
Les délits jugés en comparution immédiate sont généralement passibles de 6 mois à 10 ans de prison. Si cela reste rare, les peines prononcées peuvent toutefois dépasser cette limite, notamment en cas de récidives.
La comparution immédiate tend à favoriser la prison. Au titre de la détention provisoire, d’abord. En effet, les prévenus qui passent par cette procédure ne comparaissent pas libres lors de leur jugement. Entre la fin de la garde à vue et le début du procès, ils sont donc maintenus en cellule. Une mise en détention provisoire dans un établissement pénitentiaire peut par ailleurs être décidée si le délai jusqu’à la comparution s’avère plus long. Cela peut notamment être le cas lorsqu’il n’y a pas d’audience dans la journée suivant la fin de la garde-à-vue (par exemple le week-end), ou lorsque le prévenu demande un renvoi de son jugement. Selon les statistiques de la Direction de l’administration pénitentiaire, les personnes en attente de leur procès en comparution immédiate représentent 54 % des détentions provisoires.
Mais la procédure tend également à favoriser la prison dans les sanctions prononcées par le tribunal. Selon les avocats Laure Heinich et Dominique Tricaud, les deux tiers des comparutions immédiates se soldent par une peine de prison ferme. Et dans de nombreux cas, celle-ci est assortie d’un mandat de dépôt, exigeant le placement en détention immédiat du prévenu. Car, contrairement à d’autres procédures, la comparution immédiate permet l’application d’un mandat de dépôt aux peines d’emprisonnement de moins d’un an. Résultat : les peines de prison prononcées dans le cadre de cette procédure sont plus fréquemment appliquées. Pour les détracteurs de la comparution immédiate, ces statistiques posent la question de l’équité entre les procédures judiciaires. “Ceux qui sont poursuivis de cette manière ont jusqu’à huit fois plus de probabilité d’être incarcérés que s’ils avaient été poursuivis, pour des faits identiques, par le biais d’une procédure plus respectueuse de leurs droits”, dénoncent ainsi Laure Heinich et Dominique Tricaud dans leur tribune.
Très décriée par une partie des magistrats, la comparution immédiate reste tout de même un instrument essentiel de la justice. Lors des confinements, les comparutions immédiates ont ainsi fait partie des rares audiences à être maintenues dans les tribunaux.