Ne pas informer le patient est constitutif d’une faute permettant de soulever la responsabilité civile des professionnels de santé. Cependant, en matière de responsabilité, commettre une faute ne suffit pas. Il faut qu’il y ait un dommage et un lien de causalité entre la faute (le défaut d’information) et le dommage (corporel) pour obtenir la réparation du préjudice subi.
Le fondement du régime de la responsabilité pour manquement à l’obligation d’information repose entièrement sur le lien de causalité entre la faute et le dommage dont le mode d’appréciation a connu une évolution si remarquable que, pour être comprise, il était nécessaire de faire un petit retour en arrière.
L’évolution du Fondement de la responsabilité pour manquement à l’obligation d’information
Parfois, il ne fait aucun doute que le manquement à l’obligation d’information a causé un préjudice au patient.
Le médecin est tenu à une obligation de science et de conscience imposée par le code de déontologie médical (Cass. civ, 1ère 27 novembre 2008, n°07-15.963). Ainsi, toute faute technique, tout retard d’exécution dans le diagnostic de la maladie ou dans l’insuffisance de traitement, constituera un manquement à son obligation d’information (le médecin ne peut informer son patient de faits que lui-même ignorait par sa seule négligence !) et le patient aura droit à la réparation de l’entier préjudice.
Il en va de même lorsque le médecin pratique un acte sur le corps d’un patient sans avoir pris la peine de l’en informer, telle qu’une ligature des trompes (Cass. civ, 1ère 11 octobre 1988, n° 86-12.832). Là encore, la réparation du préjudice s’impose car aucun doute ne pèse sur le lien de causalité entre la faute (défaut d’information) et le dommage (rendre la patiente stérile).
Dans ce cas précis, la patiente aurait refusé l’opération « SI » elle en avait été informée. Et les juges n’ont eu aucun mal à le comprendre car il est humain de vouloir y réfléchir à deux fois quand on pratique un acte ayant des conséquences irrémédiables sur votre corps (ablation, ligature des trompes…) ou que les risques encourus soient trop graves (paralysie, décès…).
C’est cette absence de choix qui va conditionner la faute. La difficulté étant que pour l’évaluer, il faut deviner comment aurait réagi le patient s’il avait été valablement informé. Peut-être aurait-il renoncé aux soins, aux traitements ou à l’opération proposée… Et peut-être que non… Avec des « SI » on mettrait tous les Établissements de soins en bouteille, et les médecins sur la paille.
Il n’en demeure pas moins que ce doute pesant sur un choix qui n’a jamais été donné au patient est lourd de conséquences. En effet, comment les juges, qui ne disposent toujours pas d’une machine à remonter le temps, pourraient-ils évaluer et donc réparer le préjudice subi ? C’est pour contourner ce « doute » que la jurisprudence va dans un premier temps adapter la théorie de « la perte de chance » qui assurait une réparation partielle du préjudice subi (1), avant de l’abandonner au profit d’une application stricte des textes législatifs qui, en donnant un cadre légal à l’obligation d’information a bouleversé le mode d’évaluation et de réparation des préjudices subis (2).
1- La réparation partielle du préjudice subi : La perte de chance
La cour de cassation pose le principe selon lequel, « La violation d’une obligation d’information ne peut être sanctionnée qu’au titre de la perte d’une chance subie par le patient d’échapper par une décision peut-être plus judicieuse au risque qui s’est finalement réalisé » (Cass, civ, 1ère 12 juillet 2006 ; 7 avril 1990). Une position partagée par la jurisprudence administrative (quand les soins sont donnés dans un établissement public, c’est le juge administratif qui est compétent) .
Le défaut d’information constitue une faute toutes les fois qu’il fait perdre au patient une chance de prendre la bonne décision pour l’amélioration de son état. Il appartient à la victime (ou ses ayants-droit) de prouver que le manquement du médecin l’a privé d’une chance de guérison, d’éviter de graves séquelles, voire de causer son décès.
En clair, les juridictions suprêmes raisonnent en variant à l’infini sur le thème du « Si j’aurais su je n’aurais pas venu !». En ne l’informant pas de tous les risques encourus, le médecin a ôté une chance à son patient de prendre sa décision de manière consciente et éclairée. Si le patient avait été valablement informé des risques (qui se sont réalisés) il aurait pu renoncer à l’acte. (Sauf si l’acte était indispensable).
Cependant même s’il profite au patient l’ombre du doute subsiste toujours. C’est pourquoi le patient ne pouvait jamais prétendre à la réparation totale de son préjudice. Son indemnisation qui ne pouvait être que partielle était appréciée d’une part, en fonction des différents chefs de préjudices invoqués par la victime et, d’autre part, sur l’évaluation de la perte de chance indemnisable.
Illustration :
Un médecin préconise un traitement mais ne prévient pas son patient des risques encourus (troubles de la libido, du comportement, paralysie…). Le patient réagit mal aux médicaments et un de ces risques survient. Trouble de comportements (il ne peut plus travailler et sa vie familiale est devenue un enfer..). Et bien le juge pour évaluer le préjudice va se mettre à la place du patient au moment où l’information aurait dû être donnée et va se dire: Compte tenu des avantages espérés ( Eh oui, le coeur devrait aller mieux !) il y aurait eu 8 chance sur 10 pour que j’ accepte ce traitement, donc 2 chances sur 10 pour que je le refuse. Voilà! La perte de chance est évaluée à 20%.
Donc si le patient évalue son préjudice à 10 000 euros, et que le juge évalue la perte de chance à 20%, le préjudice ne sera indemnisé qu’à hauteur de 2 000 euros maximum ( mais le juge apprécie librement le montant final).
1ère conséquence de la perte de chance :
Même si l’information n’avait pas été correctement délivrée mais que l’état de santé du malade s’était amélioré, ou que le bénéfice de l’acte était supérieur aux inconvénients, ou que l’opération avait réussie. Le manquement à l’obligation d’information ne constituait pas un préjudice réparable. Cela revenait à reconnaître a posteriori que le médecin n’encourait aucune sanction même s’il était avéré qu’il avait manqué à son obligation d’information. Après tout, le patient n’avait pas se plaindre de s’en être aussi bien sorti.
2ème conséquence de la perte de chance :
Le manquement à l’obligation d’information ne permettait qu’une réparation partielle du dommage. La jurisprudence rappelle ce principe de manière constante « La violation d’une obligation d’information ne peut être sanctionnée qu’au titre de la perte d’une chance subie par le patient d’échapper par une décision peut être plus judicieuse au risque qui s’est finalement réalisé. ». (Cass, civ, 1ère 12 juillet 2006).
Beaucoup de voix se sont élevées contre les dérives qu’entraînaient l’application de la théorie de la perte de chance. D’une part cela faisait reposer le risque de l’aléa thérapeutique sur les professions médicales et d’autre part cela imposait au juge pour apprécier le préjudice, de se mettre rétrospectivement à la place de la victime pour deviner ce qu’elle aurait fait si elle avait eu connaissance de tous les risques encourus.
Rendre la justice comme on rend les auspices telle la pythie sur un mode proche de la divination, on a beau dire, ça fait désordre. D’autant que « se mettre à la place de.. » pour rendre une décision de justice, c’est déjà prendre parti, ce qui est contraire aux principes d’impartialité et d’équité devant guider le juge dans son office.. Certes, « ce n’est pas bien » mais gardons quand même à l’esprit que sans ces petits aménagements très peu, voire aucune réparation n’aurait été envisageable !
Finalement, c’est la loi sur les droits des patients du 4 mars 2002 qui en faisant de l’obligation d’information pesant sur les professions médicales une obligation légale, a imposé l’abandon de la perte de chance pour évaluer et réparer le préjudice subi par les patients.
2 – La réparation totale du préjudice subi
La loi sur les droits des patients de 2002 va imposer un nouveau fondement à la réparation du préjudice subi en faisant du devoir d’information pesant sur toutes les professions médicales une obligation légale. Mais la jurisprudence va aller plus loin en inscrivant le droit de savoir des patients au rang des droits de la personne, ce qui va bouleverser tout le régime de la responsabilité des médecins ayant manqués à leur obligation d’information.
Bon, autant prévenir, la notion est juridiquement ardue, donc pour la rendre accessible au plus grand nombre, nous reviendrons pas à pas sur le raisonnement tenu par les juges de cassation.
Tout commence par un arrêt rendu le 9 octobre 2001 (Cass. civ. 1ère, 9 octobre 2001, n°00-14.564) qui annonçait un changement précurseur en deux temps :
1) L’obligation d’information était visée non plus sur l’article 1147 du code civil (responsabilité contractuelle) mais sur l’article 1382 du code civil (responsabilité délictuelle) ce qui oblige à l’entière réparation du préjudice subi, alors que la responsabilité contractuelle n’admet qu’une réparation limitée aux risques prévisibles survenus au cours de l’exécution du contrat.
2) L’obligation d’information est désormais fondée sur des textes : C’est une obligation légale. Mais nous sommes avant la loi Kouchner, les juges vont donc se fonder sur des textes protégeant des droits fondamentaux, à savoir:
- L’article 3 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne «Dans le cadre de la médecine et de la loi, doivent notamment être respectés le consentement libre et éclairé de la personne »
- L’article 16 du code civil : «La loi assure la primauté de la personne, interdit toute atteinte à la dignité de celle-ci et garantit le respect de l’être humain dès le commencement de sa vie. »
- L’article 16-3 du code civil : « Il ne peut être porté atteinte à l’intégrité du corps humain qu’en cas de nécessité médicale pour la personne ou à titre exceptionnel dans l’intérêt thérapeutique d’autrui. Le consentement de l’intéressé doit être recueilli préalablement hors le cas où son état rend nécessaire une intervention thérapeutique à laquelle il n’est pas à même de consentir. »
Puis, vient un arrêt rendu par la cour de cassation du 3 juin 2010 (Cass, civ, 1ère du 3 juin 2010, n°09-13.591) qui va poser le cadre de l’évaluation du préjudice en matière de défaut d’information.
Les faits de l’espèce sont simples. Un patient était opéré sans avoir été informé des risques inhérents à l’opération. Il encourait s’il refusait un risque d’infection et, s’il acceptait un risque d’impuissance (qui finalement s’est réalisé). Les juges du fond, ont tranché selon la bonne vieille méthode de la « perte de chance » et jugé que même s’il avait été informé des risques, il n’aurait pas renoncé à l’opération puisqu’il y avait urgence. De ce fait, qu’il ait été valablement informé ou pas il encourait un risque dans les deux cas. Bref, n’ayant le choix qu’entre la peste et le choléra, il ne pouvait prétendre qu’à la réparation partielle du préjudice subi.
Mais les juges ont cassé l’arrêt au profit d’un nouveau raisonnement juridique pour évaluer la réparation du préjudice.
L’obligation d’information est une obligation légale. Cela ne fait plus aucun doute puisque la loi Kouchner de 2002 impose l’obligation d’informer dans un article 1142-1-1 du code de santé publique (Cass, civ.1ère du 14 octobre 2010).
Mais notre décision du 3 juin 2010 va plus loin car elle ne fonde pas l’obligation d’information sur le code de santé publique.
Elle fonde sa décision aux visas des articles 16 et 16-3 du code civil (eh oui, comme la décision du 9 octobre 2001). Et cela change tout ! Ces articles sont rattachés aux droits des personnes et donc aux droits de la personnalité protégés par l’article 9 du code civil selon lequel toute constatation d’une atteinte au droit des personnes ouvre droit à réparation.
Combiné avec l’article 16-1 alinéa 2, sur l’inviolabilité du corps humain, on aboutit à un tout nouveau raisonnement : Toucher au corps humain signifie toucher à la personne et donc nécessairement à la violation des droits de la personnalité.
Avec cette jurisprudence, les juges ont appliqué à la lettre des principes fondamentaux au droit à l’obligation d’information pesant sur le corps médical.
L’acte médical conduit à toucher à l’intégrité corporelle des personnes. Que se soit par l’action de médicaments, d’une opération, d’une manipulation… Directement ou indirectement, on touche au corps. Et on ne peut porter atteinte à l’intégrité d’une personne qu’avec son consentement libre et éclairé.
Ainsi, ne pas informer son patient revient à la violation du droit au respect de l’intégrité corporelle de la personne (art. 16-3 du code civil) et à la violation du droit au respect de la dignité des personnes (art. 16 du code civil).
Désormais la seule constatation du défaut d’information constitue en elle-même un préjudice qui donnera lieu à la réparation intégrale du préjudice ( art. 1382 du code civil). Peu importe que l’opération se soit bien passée ou non (et donc que le risque se réalise ou pas), la responsabilité du médecin pourra toujours être soulevée et ce, contrairement à la théorie de la perte de chance qui, en l’absence de préjudice, ne permettait pas de retenir la faute du médecin.
L’obligation d’information est une obligation légale fondée sur les droits de la personne.
Et la jurisprudence ne s’arrête pas là. Dans une décision du 23 avril 2014 (Cass, civ. 23 avril 2014, n° 12-22.123) les juges ont étendu le droit de réparation au préjudice moral.
Rappelons, que la théorie de la perte de chance n’ouvrait pas droit au préjudice moral contrairement au Conseil d’Etat qui suivant l’avis de son rapporteur avait admis dès 2012 que « la réparation des troubles qu’il a pu subir du fait qu’il n’a pas pu se préparer à cette éventualité en prenant des dispositions personnelles… » ouvrait droit à la réparation du préjudice moral du patient. (CE 10 octobre 2012, n° 350 426 rec. Lebon)
Dans sa décision du 23 avril 2014, la cour de cassation opère le même raisonnement que les juges administratifs en accordant un droit de réparation du « préjudice résultant d’un défaut de préparation aux conséquences d’un tel risque que le juge ne peut laisser sans réparation ».
L’article 1382 du code civil, ouvre considérablement le champ du préjudice réparable puisque désormais tous les préjudices pourront être réparés. (impossibilité de reprendre le travail, aide à domicile, préparation morale avant l’opération…).
La jurisprudence élaborée depuis 2010 autour du devoir d’information peut paraître « étonnante » car peu de décision sont finalement rendues au visas de l’article 1142-1-1 du code de santé public pour privilégier des articles et des principes fondamentaux qui existaient bien avant la loi Kouchner de 2002.
Alors ? Me direz-vous, pourquoi élaborer la théorie de la perte de chance quand des textes plus appropriés permettaient de fonder la réparation totale du préjudice subi ?
Et bien, et c’est un avis personnel, la principale innovation de la loi Kouchner n’a pas été de donner un cadre réglementaire à l’obligation d’information qui existait déjà dans des textes nationaux et internationaux. Mais de faire peser la réparation de l’aléa thérapeutique sur la société en créant des commissions chargées d’évaluer et de réparer des préjudices qui ne pouvaient pas être rattachés à une quelconque faute du médecin.
L’aléa thérapeutique ou « la faute à pas de chance » était le principal défaut de la cuirasse de l’obligation d’information. Il y a toujours une part d’aléa dans l’acte médical (troubles physiques, handicap, décès…) et ce, que le patient ait été valablement informé ou non. Seule la théorie de la perte de chance permettait de contourner les effets dévastateurs du refus de réparer le préjudice subi.
Désormais les choses sont claires. L’aléa thérapeutique étant pris en charge, seuls seront renvoyés devant les tribunaux les vrais cas de défaut d’information. Une obligation légale, renforcée et donc plus sévèrement réprimée.