La culture en prison, un pas vers la réinsertion
La programmation culturelle au sein des établissements pénitentiaires s’enrichit au fil des années. Au-delà de l’ouverture offerte par les ateliers créatifs, les détenus y reprennent contact avec le monde extérieur et y retrouvent une estime de soi.
L’évènement est rare : pour une fois, la prison est au diapason du reste de la société. Dans les centres pénitentiaires français aussi, la culture a déserté depuis plusieurs mois à cause de la crise sanitaire. Sans programmation de spectacles et organisation d’ateliers créatifs dans l’enceinte des établissements, le temps s’étire. Preuve de la frustration des détenus, les associations qui interviennent en prison sont déjà sollicitées pour une reprise encore incertaine. C’est le cas de Makadam, créée par Berthet One, dessinateur de bande dessinée et lui-même ancien détenu. « Il manque cruellement de culture en prison, et en ce moment c’est le pire du pire », déplore cet ancien braqueur.
Pourtant les initiatives culturelles se multiplient au sein des prisons depuis plusieurs années. Berthet One en a bénéficié. Il a été le premier à remporter en 2008 le prix Transmurailles organisé par le festival d’Angoulême. Il récompense chaque année des artistes détenus. Grâce à cette victoire, l’ancien braqueur qui trompait l’ennui avec ses croquis, sur les conseils d’un surveillant, a été contacté par plusieurs éditeurs avant même sa sortie de cellule. Il a publié deux tomes de L’Evasion, chroniques humoristiques sur sa vie de prisonnier, et rencontré un franc succès : 10 000 exemplaires du premier tome vendus en un an. Cette ascension fulgurante fascine les détenus que Berthet rencontre aujourd’hui lors de ses interventions en prison. « Ils me disent souvent que je suis “la fierté des nôtres”, sourit-il. Mais je veux leur montrer qu’ils en sont aussi capables. En une semaine d’ateliers BD, ils réalisent de formidables dessins, alors qu’ils n’y croyaient pas au début. Dès qu’on se met à travailler, on peut se surprendre. » À la fin de chaque session, les participants demandent déjà quand il reviendra.
La confiance en soi, le marchepied de la réinsertion
Plus qu’un moment d’évasion, ces capsules permettent de renouer le contact avec le monde extérieur. « La culture ouvre l’esprit : c’est déjà la liberté, mais dans la tête », appuie Berthet One. Doper la confiance en soi des détenus est aussi l’un des objectifs de ces activités culturelles en prison. Initiée dans les années 1980 par Jack Lang et Robert Badinter, cette politique a introduit des nombreuses disciplines en détention. Les conventions entre Ministères de la culture et de la justice se multiplient au fil des années, et c’est aux Services Pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP), créés en 1999, qu’incombe le pilotage de ces programmes. Aujourd’hui, les initiatives diffèrent en fonction des établissements, et dépendent grandement des choix de l’administration.
Pour Marie Langrée, coordinatrice culturelle à la maison d’arrêt de Nanterre (92) ; la programmation culturelle est un levier certain de réinsertion sociale, au même titre que le logement ou le travail. Elle affirme : « Les bienfaits des ateliers ne sont plus à prouver : apprendre à se connaître, faire un travail sur soi, respecter un cadre, se sentir capable de faire… » Avec l’ambition de « ramener la culture de l’extérieur vers la détention », la responsable met sur pied une trentaine de projets chaque année, à la fois des évènements culturels et stages de création en partenariat avec des associations. Ces initiatives attirent près de 300 détenus volontaires en moyenne, sur les quelques 800 prisonniers du centre, un résultat encourageant selon elle.
Par ailleurs, les activités culturelles permettent aussi au détenu de renouer avec le collectif. C’est ainsi que l’association Wake Up Café, qui intervient régulièrement au centre pénitentiel de Nanterre, envisage son action. Créée en 2014 par une aumônière de prison, cette structure a formé une chorale composée de détenus, avant d’élargir ses ateliers à de nombreux domaines : théâtre, peinture, danse, création florale… L’association assure aussi un suivi des prisonniers à leur sortie de cellule, pour les aider dans leur recherche d’emploi. Deux démarches complémentaires : lors des ateliers, les intervenants invitent les participants à entreprendre un processus de plus longue haleine en partant de la création artistique. « Pour nous, il est important de combiner le soutien individuel et collectif, explique Emilienne Joud, en charge des ateliers en détention au sein de l’association : reprendre confiance en soi, c’est aussi faire confiance aux autres. »
L’art à portée de tous
Daniele Martignoni, artiste plasticien et intervenant pour l’association, peut en témoigner. « Au début des ateliers, les détenus sont intimidés et gardent le silence, décrit-il. Mais progressivement, ils se laissent aller : un jour, lors d’une pause au milieu de la session, l’un d’entre eux est venu me livrer quelques confidences en me parlant d’Italie, comme j’en suis originaire. » Pour gagner leur confiance, il n’hésite pas à multiplier les exercices abordables, avant d’aller vers un niveau de difficulté croissant : « l’art n’est pas dédié à une élite, personne n’a de don en la matière ». « Il y a une véritable barrière psychologique à casser : il n’y a pas une culture légitime et une autre non. Elle doit être accessible à tous », abonde Marie Langrée. D’autant que nombre de détenus avaient déjà une intérêt pour différentes pratiques artistiques avant l’entrée en cellule. C’est ce qu’Emilienne Joud a pu constater lors des ateliers : « certains me racontent qu’ils avaient déjà pratiqué le théâtre avant la prison, et qu’ils adoraient ça ! Pour d’autres la découverte est totale. Mais penser que c’est le cas de tous, c’est une grande idée reçue. »
Cette accessibilité de la culture, Yacine Yahiaoui la défend aussi ardemment. Cet ancien détenu a découvert les richesses de la littérature et de la philosophie en prison, en commençant par la bibliothèque pénitentiaire. « J’ai voulu entrer dans la culture par le haut, avec des grands classiques que je n’avais jamais ouverts : Genet, Céline, Bourdieu… » Des livres aux textes de chansons françaises, il traque chaque référence et enrichit son répertoire au fil des années de détention. Celui qui se plaît aujourd’hui à étayer ses explications de citations nombreuses a été nommé en 2013 commissaire d’une exposition en détention à la prison de Réau (77), organisée en partenariat avec la Réunion des Musées Nationaux. Son président d’alors, Jean-Paul Cluzel, remarque l’érudition de Yacine Yahiaoui à cette occasion, et lui offre l’opportunité de travailler à sa sortie de prison à l’administration puis à l’accueil du public dans de nombreux musées parisiens, de l’Opéra Bastille au Petit Palais. « Le savoir fait peur, il démonte nos certitudes et change nos perspectives, insiste l’ancien détenu. Mais il permet de comprendre nos vies, d’appréhender leur profondeur. » Il attaque volontiers « la bourgeoisie qui écrase les gens avec un savoir superficiel » et multiplie lui aussi les interventions dans les prisons et les quartiers sensibles, en invitant ses auditeurs à ne pas avoir peur de se constituer leur propre répertoire culturel.
Des freins persistants mais une demande croissante
Pour autant, ce type de trajectoire remarquable est bien rare à la sortie de la prison. Difficile d’engager une formation dans le domaine artistique en détention. Si certaines passerelles sont possibles, comme un stage proposé par le programme Eloquentia, partenaire de Wake Up Café, que l’on peut valoriser sur son CV, elles restent extrêmement peu nombreuses. « Pouvoir travailler dans le domaine culturel, ce serait une perspective très intéressante. Mais malheureusement les métiers artistiques requièrent souvent des prérequis et des formations difficilement accessibles pour les détenus », regrette Marie Langrée. Une impasse qui n’étonne pas Berthet One : « même à l’extérieur, il est très difficile de vivre d’un métier dans le domaine de la culture ! »
D’autant que les projets en détention se heurtent toujours à des freins. « L’accès à une salle dédiée n’est pas toujours simple, et surtout, il est difficile d’assurer l’assiduité de tous les participants en même temps, détaille Emilienne Joud, surtout en maison d’arrêt où il y a un roulement des entrées et des sorties. » Pour autant, la responsable remarque un engouement croissant depuis quelques années, avec une multiplication des sollicitations : à la sortie de la crise sanitaire, l’association devrait intervenir dans cinq établissements franciliens, contre trois l’an passé.
Au-delà de ces initiatives en détention, certains intervenants misent aussi sur la prévention de la délinquance par la sensibilisation à la culture, à l’instar de Berthet One qui organise de nombreux ateliers dans des quartiers sensibles. Pour l’artiste d’origine congolaise, il est indispensable que les jeunes publics puissent s’identifier à des modèles qui leur ressemblent. Des figures inspirantes qui les mettent en garde contre « le plafond de verre qui t’attend, quand tu t’appelles Farid ou Mamadou », tout en les encourageant à persévérer dans leurs ambitions. La création artistique est bien pour lui l’une des voies pour s’en sortir. « En prison ou ailleurs, la culture sauve des gens, affirme-t-il. Tout simplement. »