L’Ordre des médecins se mobilise enfin en faveur des pauvres !
L’Ordre des médecins a annoncé qu’il allait poursuivre en justice les professionnels de santé qui refusent de prendre la carte vitale, la CMU, la CMU-C, l’ACS et l’AME.
Comment en est-on arrivé là ?
Pour garantir aux plus démunis l’accès au soin, le législateur a prévu divers dispositifs tels que la couverture maladie universelle (CMU), la CMU-Complémentaire (CMU-C), l’aide à l’acquisition d’une couverture maladie complémentaire (ACS) et l’Aide médicale d’État (AME).
Mais contrairement à une idée répandue, il n’est pas si facile de se faire soigner quand on est pauvre. Certains médecins (pas tous, fort heureusement !) ont réussi à pervertir le système en excluant les populations les plus fragilisées du système de soin.
La santé est devenue un commerce pour beaucoup de médecins. Entre ceux qui refusent de prendre la carte vitale et ceux qui, depuis la généralisation des prises de rendez-vous en ligne, affichent sans complexe le refus systématique de recevoir les bénéficiaires de couverture sociale, les difficultés que rencontrent les pauvres à se faire soigner devient flagrant.
Pire, les adeptes de ces pratiques illégales renvoient systématiquement les plus démunis aux Urgences qui, faute de pathologie grave, vont les rediriger vers un cabinet médical qui… va les renvoyer aux Urgences !
Des habitudes qui génèrent de l’incivilité dans les hôpitaux et nuisent à l’intérêt général, car elles empêchent de prévenir ou de détecter des maladies graves dont la prise en charge coûtera plus cher au système de santé.
Jusqu’à présent, l’Ordre des médecins faisait mine d’ignorer cette réalité en arguant « l’absence » de recours déposés auprès des conseils comme le prévoit la loi.L’article 1110-3 du code de santé publique prévoit dans son alinéa 2 que « Toute personne qui s’estime victime d’un refus de soins illégitime peut saisir le directeur de l’organisme local d’assurance maladie ou le président du conseil territorialement compétent de l’ordre professionnel concerné des faits qui permettent d’en présumer l’existence. Cette saisine vaut dépôt de plainte. Elle est communiquée à l’autorité qui n’en a pas été destinataire. Le récipiendaire en accuse réception à l’auteur, en informe le professionnel de santé mis en cause et peut le convoquer dans un délai d’un mois à compter de la date d’enregistrement de la plainte. »
Ça à l’air simple ! Mais impossible à mettre en œuvre et ce, pour une raison bien connue ! Les plus démunis ne forment pas de recours : C’est la double peine de la précarité. Le manque d’accès aux soins va de pair avec le manque d’accès à leurs droits les plus élémentaires.
Pire, on observe que ces populations marginalisées renoncent purement et simplement au bénéfice des aides accordées, juste pour ne plus avoir à subir la honte de la discrimination.
Depuis plusieurs années, les associations de malades et le défenseur des droits, alertent les pouvoirs publics et l’Ordre des médecins de la généralisation du « refus de soins ».
Et pour une fois, il semblerait que cet appel soit pris au sérieux. L’Ordre des médecins, pointé du doigt pour son laxisme, a (enfin?) annoncé en février dernier vouloir mettre un terme à ces pratiques illégales et immorales en poursuivant les médecins ayant refusé de soigner les plus faibles.
La répression du refus de soins
Les médecins qui affichent sur leurs sites web ou annoncent par téléphone le refus catégorique de prendre en charge des patients bénéficiaires d’une CMU, CMU-C, ACS et AME encourent des poursuites pénales et ordinales.
Les poursuites devant le Conseil de l’ordre
Refuser de donner des soins aux plus démunis va à l’encontre de tous les principes déontologiques des médecins. Soigner les « pauvres » est le principe de base du serment d’Hippocrate.
« Je respecterai toutes les personnes, leur autonomie et leur volonté, sans aucune discrimination selon leur état ou leurs convictions (…) J’interviendrai pour les protéger si elles sont affaiblies, vulnérables ou menacées dans leur intégrité ou leur dignité. Je donnerai mes soins à l’indigent et à quiconque me les demandera. Je ne me laisserai pas influencer par la soif du gain ou la recherche de la gloire… »
Le refus de soins est une faute déontologique passible de poursuites disciplinaires devant le Conseil de l’ordre dont la procédure et les sanctions encourues (allant du blâme à la radiation) sont reprises en détail sur notre site.
Parallèlement à la justice ordinale, les médecins seront aussi poursuivis au pénal comme le prévoit expressément le législateur.
L’article L. 1110-3 du code de la santé publique, fonde le caractère illégal de ces refus sur l’interdiction de pratiquer toute forme de discrimination dans l’accès à la prévention ou aux soins.
« Aucune personne ne peut faire l’objet de discriminations dans l’accès à la prévention ou aux soins. Un professionnel de santé ne peut refuser de soigner une personne pour l’un des motifs visés au premier alinéa de l’article 225-1 ou à l’article 225-1-1 du code pénal (sur la discrimination) ou au motif qu’elle est bénéficiaire de la protection complémentaire (CMU, CMU-C) ou du droit à l’aide prévus aux articles L. 861-1 et L. 863-1 du code de la sécurité sociale (Assurances complémentaires : ACS), ou du droit à l’aide prévue à l’article L. 251-1 du code de l’action sociale et des familles (les aides médicales d’État : AME) »
Les poursuites devant les tribunaux répressifs
Ces pratiques discriminatoires constatées par La Haute Autorité de Lutte contre les Discriminations dans sa délibération n°2006-232 du 6 novembre 2006, se sont généralisées, ainsi que le confirment les témoignages et les « testings » régulièrement effectués par des associations de malades.
Les poursuites pénales seront donc engagées sur la base des articles 225-1 et 225-1-2 du code pénal modifiés par la loi n°2016-1547 du 18 novembre 2016, selon lesquels:
« Constitue une discrimination toute distinction opérée entre les personnes physiques sur le fondement de leur origine, de leur sexe, de leur situation de famille, de leur grossesse, de leur apparence physique, de la particulière vulnérabilité résultant de leur situation économique, apparente ou connue de son auteur, de leur patronyme, de leur lieu de résidence, de leur état de santé, de leur perte d’autonomie, de leur handicap, de leurs caractéristiques génétiques, de leurs mœurs, de leur orientation sexuelle, de leur identité de genre, de leur âge, de leurs opinions politiques, de leurs activités syndicales, de leur capacité à s’exprimer dans une langue autre que le français, de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une Nation, une prétendue race ou une religion déterminée. »
Les médecins qui refusent de soigner les plus démunis encourent des peines de 3 ans d’emprisonnement et de 45 000 euros. Lorsque « le refus discriminatoire … est commis dans un lieu accueillant du public ou aux fins d’en interdire l’accès, les peines sont portées à cinq ans d’emprisonnement et à 75 000 euros d’amende. » (article 225-2 du code pénal).
Pourquoi devrait-on prendre l’Ordre des médecins au sérieux ?
Ces textes répressifs ont toujours existé, mais n’ont jamais été appliqués. Alors, pourquoi devrions nous prendre au sérieux la volonté de l’Ordre des médecins à appliquer la loi et faire le ménage parmi les siens ?
Eh bien parce que L’Ordre des médecins se devait de monter au créneau pour redorer l’image d’une profession de moins en moins respectée. Pour beaucoup, la médecine est devenue un commerce et les patients des consommateurs de soins.
Mais la crédibilité de l’Ordre repose sur sa volonté affirmée d’agir non de manière passive, en attendant des dossiers qui ne viendront jamais, mais de manière active en collaborant directement avec le défenseur des droits et les associations de malade telles que le FNARS, le Collectif inter-associatif de la santé, et Médecins du monde.
Et là, ça change tout! Ces derniers, étant au contact permanent de ces patients ignorés du système de santé, pourront agir efficacement auprès de l’Ordre au nom et pour le compte des victimes de ces pratiques illégales.
Les dossiers seront transmis aux juridictions ordinales et l’avenir nous dira si ce n’était qu’un simple effet d’annonce ou une volonté réelle de « faire le ménage » au sein de l’Ordre.
Mais les médecins (pas tous!) ne sont pas les seuls à refuser leur assistance aux plus démunis.
Pour la petite histoire, les cabinets d’avocats (là encore, pas tous !) ont fait la même chose en refusant de prendre les dossiers des bénéficiaires de l’Aide Juridictionnelle. Et mal leur en a pris ! Car cette petite clientèle, longtemps ignorée, a appris à se passer de leurs services pour se défendre en justice.
Vous retrouverez tous ces détails dans notre prochain article « les pauvres ont-ils accès au droit ? ».