L’affaire France Offshore : Nadav Bensoussan, roi de la fraude fiscale
Au début des années 2000, cette société financière proposait à ses clients, pour la plupart des petits patrons, de placer leur argent à l’étranger pour échapper à l’impôt en France. Entre 200 millions et 700 millions d’euros auraient ainsi été blanchis en Lettonie.
Retour sur cette affaire à l’occasion du procès en appel de la banque lettone qui s’ouvre lundi 8 février, à Paris, pour blanchiment de fraude fiscale.
C’est une affaire tentaculaire. Jugée en première instance en 2017, le dossier France Offshore sera de nouveau examiné par la justice à partir de lundi 8 février, au TGI de Paris, lors du procès en appel de la banque lettone Rietumu accusée d’avoir hébergé les fonds blanchis. Cette affaire a donné lieu à l’un des plus grands procès de la fraude fiscale. Et elle est devenue emblématique de la délinquance en col blanc.
Tout commence avec un homme, Nadav Bensoussan. Au début des années 2000, cet ancien banquier monte un vaste système d’évasion fiscale. Sa cible : les petites fortunes. Plus besoin d’être millionnaire ou patron d’une entreprise du CAC 40 pour placer son argent dans des paradis fiscaux. L’homme d’affaires promet à tout un chacun l’accès aux meilleures méthodes d’ “optimisation fiscale”. Pour 2 500 à 6 000 euros, il propose aux clients de son entreprise, baptisée France Offshore, d’ouvrir une société anonyme dans un pays à la fiscalité avantageuse, la Lettonie. Il s’adresse en priorité aux petits patrons, professions libérales et artisans. Et il assure que tout est légal.
Une fraude à grande échelle
La formule séduit tous ceux qui sont à la recherche du bon plan pour payer moins d’impôts en France. Parmi eux, se trouve un coiffeur, un ostéopathe, des sociétés d’informatique, mais aussi des délinquants financiers. L’enquête révélera en effet les liens de France Offshore avec des activités illégales de fraudes à la taxe carbone et d’escroqueries à la TVA. “Dans les années 2000, il n’était pas aussi facile de créer une société à l’étranger. Internet n’était pas aussi développé. Il fallait aller en Suisse, ça coûtait cher. Nadav Bensoussan a complètement démocratisé le système en industrialisant le processus“, explique Mabrouk Sassi, avocat fiscaliste.
Grâce à divers montages financiers relevant de la fraude fiscale (fausses factures, centrales d’achat ou filiales fictives…), les clients de France Offshore délocalisaient une partie de leur chiffre d’affaires. “Tout le monde a le droit de créer une société à l’étranger. La contrainte, c’est la substance, c’est-à-dire que sur place, il doit y avoir des locaux et des salariés.
On peut donc facturer les prestations qui sont faites à partir de là-bas. Les clients de France Offshore, eux, n’avaient qu’une boite aux lettres et certains se servaient de cette société fictive pour facturer“, décrypte Maître Sassi. Une fois l’argent déposé en banque, les clients pouvaient récupérer leur argent de façon anonyme grâce à des cartes bancaires professionnelles.
Le roi de l’offshore
Loin de cultiver la discrétion, le charismatique patron de France Offshore multiplie les apparitions médiatiques pour promouvoir sa société. En 2011, par exemple, Nadav Bensoussan n’hésite pas à se mettre en scène pour un reportage de France 5. On le voit évoluer dans ses bureaux de Riga, en Lettonie, puis aller lui-même déposer les dossiers de ses clients à la banque Rietumu.
“Tout est conforme à la loi“, affirme-t-il au journaliste qui l’interroge sur la légalité de son business. Cette communication rassurante et offensive se déploie également à grand renfort de publicité sur Internet. Une fois le client harponné, il est invité dans les bureaux parisiens de France Offshore, situés dans le très chic 16e arrondissement.
Comment ne pas faire confiance à cette entreprise qui a pignon sur rue ? “Je m’essayais à boursicoter sur Internet et je suis tombé sur France Offshore. Un rendez-vous a été fixé à Paris. Ils présentaient bien. Ils m’assuraient que c’était un montage fiscal totalement légal. Dans leurs bureaux, ils étaient très convaincants, je n’ai pas pu refuser. C’est lorsque j’ai vu que la banque était dans un pays de l’Est que j’ai commencé à me méfier“, témoigne l’un des clients de France Offshore sur RTL en 2013. Pendant près de dix ans, le business de Nadav Bensoussan va perdurer avec cette apparence de légalité.
Mais, celui que la presse surnomme “le roi de l’offshore”, ne tarde pas à attirer l’attention du fisc. En 2008, une première perquisition de la Direction nationale des enquêtes fiscales (DNEF) a lieu dans les locaux de France Offshore pour saisir les dossiers de ses clients. L’enquête s’accélère en décembre 2011 lorsqu’une information judiciaire est ouverte après une plainte déposée par le fisc. Un an plus tard, c’est la fin de France Offshore. Nadav Bensoussan et plusieurs de ses salariés sont mis en examen pour blanchiment de fraude fiscale en bande organisée.
L’entreprise française entraîne dans sa chute son principal partenaire à l’étranger : la banque lettone Rietumu qui héberge les fonds blanchis. Quant aux clients, beaucoup se sont dit trompés. Un argument difficile à entendre pour le fisc. Tous ont été lourdement redressés. “Ce sont des procès emblématiques pour le parquet et pour le fisc. Il s’agit de montrer aux banques, aux intermédiaires et aux contribuables qu’il ne peuvent pas créer des entreprises à l’étranger et frauder impunément“, souligne Maître Sassi.
« C’est compliqué de penser qu’ils pouvaient ne pas savoir »
En février 2017, le procès France Offshore s’ouvre devant le tribunal correctionnel de Paris. En tout, 13 personnes comparaissent : Nadav Bensoussan, des salariés et des avocats de France Offshore ainsi que deux représentants de Reitumu. Près de 700 comptes avaient été ouverts dans la banque lettone. Quant au montant total d’argent blanchi, les juges ont retenu la somme de 203 millions d’euros. Cependant, la fraude pourrait être d’une toute autre ampleur.
Certaines estimations atteignent les 700 millions d’euros. Pendant l’audience, le principal accusé nie avoir été au courant de l’illégalité de son activité. Il aurait argué que “la création de sociétés offshore n’est pas illégale” et qu’il “n’avait pas connaissance des agissements illégaux de certains clients“, rapporte Vanity Fair.
La banque lettone plaide, elle aussi, la bonne foi et se défend de connaître l’origine des fonds versés via France Offshore. “C’est compliqué de penser qu’ils pouvaient ne pas savoir“, remarque Maître Sassi.
80 millions d’euros d’amende
À l’issue du procès, Nadav Bensoussan est condamné à cinq ans de prison dont trois avec sursis et trois millions d’euros d’amende pour fraude fiscale, blanchiment de fraude fiscale, association de malfaiteurs, escroquerie en bande organisée et travail dissimulé. Il ne fait pas appel de la décision contrairement à la banque qui se voit attribuer une amende de 80 millions d’euros, soit l’équivalent de son bénéfice annuel de 2016. Deux de ses responsables écopent de peines de prison avec sursis: quatre ans pour son directeur, Alexander Pankov, et un an pour son représentant en France, Sergejs Scuka. “On a l’impression que le tribunal a voulu faire les poches de la banque et faire un exemple“, avait déclaré l’avocat de Rietumu, Patrick Klugman, à l’issue du verdict. Contacté, il n’a pas répondu à nos sollicitations. Pour ce deuxième procès, “le débat devrait porter sur le montant de la peine financière“, analyse Maître Sassi.
Depuis la révélation de la fraude organisée par France Offshore, la banque assure avoir renforcé ses procédures de vérifications de comptes. Quant à Nadav Bensoussan, “il en a fini avec cette affaire“, nous indique son avocat Serge Kiersenbaum. Il est toutefois aujourd’hui suspecté d’avoir poursuivi ses activités via une nouvelle société : Fidusuisse. Ce business aurait perduré après 2017, alors même que sa condamnation dans l’affaire France Offshore lui interdit d’exercer dans la gestion et le conseil financier.
Mis en en examen dans ce dossier en janvier 2020, il a été placé en détention à la Prison de la Santé. Après quelques jours de prison, il a été libéré et placé sous contrôle judiciaire. Le dernier procès du dossier France Offshore ne marquera donc peut-être pas la fin des ennuis de Nadav Bensoussan.