Après Théo, Alexandre : pourquoi tant de répugnance à retenir le viol ?
Peut-on réellement s’empaler sur une matraque par accident ? Vlad IV (dit Dracula) ou Gilles de Rais (dit Barbe Bleue), vous dirait « OUI! » et tout juriste vous répondra qu’en droit… Tout est possible.
Certes, comme dans toutes les affaires sensibles, il faut tenir compte du temps judiciaire qui n’est pas comparable au temps médiatique, au secret de l’instruction (aie, trop tard!) à la présomption d’innocence, aux difficultés de maintenir l’ordre dans les banlieues…
Mais de toute évidence ces accidents ne sont pas si rares.
Une affaire similaire, que mort de honte Alexandre a préféré taire, vient tout juste d’être révélée (elle sera rejugée en appel, ce lundi, à Bobigny). Dans son cas, les faits étaient qualifiés de viol avant d’être requalifiés de violences. L’auteur (un policier municipal et sa matraque) a été condamné à 6 mois de prison avec sursis.
Et là, on se dit que cela fait beaucoup d’accidents à la matraque… D’où l’intérêt de s’intéresser d’un peu plus près aux problèmes de qualification soulevés par l’usage immodéré de cet objet contondant.
Au pénal, la qualification est ce qu’il y a de plus important « Donnez-moi les faits je vous donnerai le droit ». La qualification des faits est ce qui détermine le texte pénal applicable et la peine encourue.
Les faits : un contrôle d’identité qui dégénère avec un usage disproportionné de la force (sur ce point, tout le monde est d’accord). Théo, dont le bas du survêtement a « glissé », est maintenu par 3 policiers, avec un quatrième qui pour le maîtriser tenait sa matraque pointée vers l’avant. Il en résulte 60 jours d’ITT et une fissure anale de plus de 10 centimètres par l’intromission d’une matraque télescopique.
Au début, le parquet a retenu la qualification de viol. Puis c’est devenu un accident, puisque le policier visait le dos. Et donc… requalification des faits du parquet en violences volontaires aggravées. Une requalification largement médiatisée et fondée sur le rapport de l’IGPN « la police des police ». On passe alors d’un crime pour lequel on encourt jusqu’à 15 ans de réclusion criminelle (20 puisque l’acte est commis par un dépositaire de l’autorité publique) à un délit passible au minimum de 3 ans de prison.
Une qualification qui, pour le commun des mortels, colle mal aux faits, d’où ce sentiment d’injustice et d’impunité qui met le feu à Aulnay sous bois.
Le juge d’instruction a maintenu, contre l’avis du parquet et après avoir visionné les vidéos, la qualification de viol pour le policier qui tenait la matraque et de violences volontaires pour les autres (bien que la logique aurait voulu qu’ils soient aussi poursuivis pour complicité de viol en réunion ou comme auteur…).
Que dit la loi ?
L’article 223-23 du code pénal prévoit que « Tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, commis sur la personne d’autrui par violence, contrainte, menace ou surprise est un viol. »
Pour une fois, le texte de la loi est claire : Le viol est un acte de pénétration sexuelle fait par violence, contrainte ou surprise. On est en plein dans les faits de l’affaire Théo.
Sauf que… Pour retenir des faits de viol il faut aussi un élément intentionnel que les juges associent à la volonté sexuelle poursuivie par l’auteur. C’est le fameux élément subjectif fustigé par Me Dupont-Moretti.
Dès lors, tout est question d’interprétation.
Que dit la jurisprudence ?
L’intention poursuivie par l’auteur du viol est pour la Cour de cassation un critère purement subjectif : C’est l’intention de porter atteinte à l’intimité sexuelle de la victime, pour le comprendre rien ne vaut quelques illustrations.
Dans un arrêt où les auteurs ont enfoncé un bâton dans le fondement d’un garçon après avoir tenté de lui voler de l’argent, la cour a substitué les faits d’extorsion de fonds, avec des circonstances aggravantes d’acte de barbarie, aux faits de viol initialement retenus.
Pour la Cour, le mobile était financier et non sexuel, donc : Pas de viol (Cass. crim. du 9 décembre 1993, n° 93-81.044).
Puis la cour a esquissé un revirement de jurisprudence dans une affaire où elle a qualifié de viol le fait d’enfoncer un manche de pioche recouvert d’un préservatif dans l’anus d’un garçon (Cass. crim. du 6 décembre 1995, n° 95-84.881).
On touche au sexe donc, viol. Mais cet arrêt pourtant de bon sens, restera ce qu’on appelle une décision isolée, car la cour de cassation va revenir à une interprétation très restrictive.
- Une belle mère ayant obligé son jeune beau fils (13 ans) à avoir des rapports sexuels était poursuivie pour viol aggravé. Les juges de cassation ont requalifié les faits d’agressions sexuelles car, le « crime de viol n’est caractérisé que si l’auteur réalise l’acte de pénétration sexuelle sur la personne de la victime.».
La belle mère ne pouvait pas pénétrer la victime donc, pas de viol (Cass. Crim. du 21 oct. 1998, n° 98-83.843).
- « les fellations pratiquées par l’auteur sur la victime ne constituent pas des viols, mais des délits d’agression sexuelle.» (Cass. crim. du 22 aout 2001, n° 01-84.024).
On ne touche pas au sexe de la victime (pénétration oral) donc, pas de viol.
Le coup de grâce est un arrêt de la chambre criminelle du 21 février 2007 (n°06-89.543). Dans cette affaire, un médecin généraliste était poursuivi et condamné pour viol après avoir contraint « trois jeunes patientes (…) à l’occasion de consultations à son cabinet, (à) introduire dans leur bouche un objet de forme phallique recouvert d’un préservatif et de (leur) faire accomplir des mouvements de va-et-vient ».
Les juges de cassation ont cassé le jugement au motif que le viol « implique une pénétration par l’organe sexuel masculin de l’auteur et non par un objet le représentant ». Et les faits ont été requalifiés… d’agressions sexuelles.
Cette conception très stricte démontre que le viol n’est envisagé que comme une relation sexuelle qui, en l’absence de consentement du partenaire, se terminerait mal.
Une vision d’autant plus désuète qu’elle ne concernerait que les femmes puisque comme les juges ne manquent jamais de le rappeler, le viol est « une pénétration par l’organe sexuel masculin de l’auteur ».
Eh oui… un homme ça ne pleure pas et ce n’est surtout pas victime de viol puisqu’il ne peut être qu’auteur dudit viol.
Voilà qui limite considérablement le champ des poursuites du viol, au point de le vider de toute sa substance.
Alors que les victimes de tels agissements, s’estimeront, à l’instar de Théo, violées dans leur intimité. C’est ce que rapporte Alexandre dans une interview et pour qui « un truc qui rentre dans l’anus, c’est du viol ».
Est-il possible d’envisager le viol hors de la sphère sexuelle ?
Non, car en dehors de toute sphère intime et sexuelle, la cour de cassation lui préfère la qualification de violence ou de torture et d’acte de barbarie.
À la lumière de la jurisprudence, la guerre médiatique autour de la qualification à retenir entre le viol et les violences prend tout son sens et laisse augurer une vraie bataille purement juridique.
L’affaire Théo pourrait être à l’origine d’un revirement de jurisprudence qui permettrait à la Cour de cassation de fixer une fois pour toute si le viol cette pénétration « par ruse, violence ou surprise » peut ou non exister en dehors de toute dimension ou intention sexuelle.
Mais ce sera long, on n’en est qu’aux mises en examen et entre temps tout peut arriver. D’ici là et jusqu’aux conclusions de l’enquête le juge d’instruction, qui il faut le rappeler a décidé d’aller à l’encontre des réquisitions du parquet, peut cependant requalifier les faits en violence à tout moment.